LE PROJET DE « SITE D’AVENTURES SPORTIVES » par Christian Pociello
Christian Pociello, auteur de nombreux ouvrages sur les pratiques sportives contemporaines, est professeur de sciences du sport à l’Université de Paris XI-Orsay, appelée également Paris-Sud.
PLAN
UNE UTOPIE MOBILISATRICE
L’évolution des loisirs sportifs dans la société française
Une hybridation entre technologie et écologie
Une recherche de solutions
Le « Site d’Aventures Sportives », un nouvel équipement
Un « SAS » véritable entre ville et nature
Création d’un catalogue de spots
Avatars et mésaventures du projet
L’enrichissement de la « pluri-fonctionnalité » du Site-pilote
L’impulsion du projet angevin et la création de la société « Ressac »
Les interprétations de l’interruption du projet angevin
Les enseignements de l’expérience : le lieu adéquat
Extrait : Les Annales de la Recherche Urbaine Année 1998 79 pp. 69-77
Fait partie d’un numéro thématique : Sports en ville
UNE UTOPIE MOBILISATRICE
Le « Centre de Recherches sur les Cultures Sportives» de l’Université de Paris-Sud (CRCS) s’est employé, depuis une quinzaine d’années, à approfondir l’analyse sociologique de la structure et de l’évolution des loisirs sportifs dans la société française.
A travers le temps court, ses chercheurs se sont particulièrement attachés à l’observation des goûts et des comportements sportifs des citadins des grandes métropoles régionales et de la mégapole parisienne; là où les évolutions sont les plus avérées, larges et durables (avec de fortes inflexions relevées à partir des années 75-80). Le « système des sports» (1) visualisant le rapport «d’affinité» (ou de régularité statistique) qui s’établit, en France, à un moment donné de l’histoire, entre certains types de loisirs sportifs et certains groupes sociaux, a connu une déformation et une réorganisation à travers le temps (1975-1995). Les puissantes forces d’inertie qui structuraient ce champ ont été, alors, mises en cause par une dynamique équivalente de transformations. On a pu ainsi repérer le renouvellement symbolique de ce système sous l’effet de l’apparition de nouvelles pratiques (auxquelles la jeune génération s’est révélée immédiatement très sensible) corrélativement au développement, dans de nombreux champs sportifs, d’une «contre-culture» productrice de nouvelles manières de pratiquer les sports centenaires. Dans l’appréhension de cette « dynamique » que confirment la durée et la constance des observations, on a pu repérer le sens de circulation des modèles de pratiques dans l’espace social et sa curieuse inversion intergénérationnelle (2).
Ces transformations de la demande sociale d’activités, sensibles dans les grandes cités, rendent partiellement inadaptés les équipements sportifs traditionnels essentiellement conçus pour des fonctions d’éducation physique des scolaires et de pratique compétitive fédérale. D’autres équipements sont venus compléter ce parc pour capter les attentes de mise en forme corporelle, d’entretien ou de condition physique d’une clientèle individuelle et solvable. D’autres, enfin, ont tablé sur le développement du loisir familial et infantile à partir de la déclinaison des produits « Disney ».
L’objectif assigné au laboratoire fut de mener un travail de conception d’équipements urbains innovants, susceptibles de structurer une demande de loisirs actifs (dits « sportifs »), à partir d’une réflexion prospective large et plus ouverte sur les effets des évolutions socio-culturelles patentes dans ce registre d’activités, en France.
L’évolution des loisirs sportifs dans la société française
Les enquêtes nationales attestent d’un développement «sensible» (INSEE, 1984, INSEE, 1989) ou «très important » (INSEP, 1987) de « l’activité physique et sportive » des Français selon la définition restrictive ou large qu’on lui donne. Des pratiques d’entretien du corps à domicile à visée hygiénique et esthétique (dites de « mise en forme ») aux activités compétitives de « moyenne tension», en passant par les sports de loisirs récréatifs, hédonistes, de détente ou de stimulation, l’éventail des modes d’investissement des français dans ce registre d’activités s’est considérablement étendu en se diversifiant. Le processus incontestable de « sportivisation » des temps de vacances (INSEP, 1987), les mises en formes « aventureuses » de certaines activités touristiques ou de pleine nature (Pociello, 1986), le « sport domestique » (Haumont, 1994), enfin, attestent de ces transformations générales dans leurs traductions saisonnières. Ces évolutions de la demande appellent des ajustements des services et des équipements urbains susceptibles de les satisfaire. En effet, en même temps qu’elles se sont diversifiées et enrichies de modalités nouvelles, les activités se sont ouvertes à de nouvelles cohortes de pratiquants jusqu’ici peu concernées (femmes, jeunes enfants, personnes âgées…). La forte féminisation des activités et l’allongement significatif de la durée des cycles de vie sportifs sont des phénomènes puissants observables dans leurs effets quantitatifs et qualitatifs au niveau national comme au niveau local d’échelle. La richesse et la variété de l’offre citadine d’équipements et de services classiques qui portent les citadins, plus exigeants et versatiles, vers des formes d’organisation à faibles contraintes, ne parviennent pas à contenir leurs tendances marquées aux évasions agoraphiles.
L’aspiration des Français à plus d’indépendance et d’autonomie produit des effets directs dans ce registre d’activités comme dans les modes d’animation des petits groupes qui s’y investissent. Les pratiquants les intègrent mieux à leurs modes de vie au prix d’un meilleur ajustement à leurs dispositions culturelles et à leurs possibilités personnelles. Des modalités amicales, conjugales, intergénérationnelles… d’activités définissent et traduisent d’autres modes de sociabilité que ceux consacrés par les clubs sportifs centenaires les plus «sélectifs». Au sein de petits groupes associatifs s’organisent des activités moins étroitement ascétiques ou compétitives et plus clairement récréatives, festives, conviviales sinon « dionysiaques ».
La demande sociale de loisirs sportifs qui n’est pas simple traduction directe et « mécanique » de l’offre se trouve notablement déterminée par l’évolution des modes de vie, des mentalités et des rapports aux au&tion parfois qualifié de « post-industriel » (tertiarisation, précarisation des emplois, rôle croissant de la technicité et importance accordée au «high-tech», montée de l’économie immatérielle…). La demande assimile aussi de nouvelles sensibilités (dont «l’écologique») qui se diffusent largement dans le corps social.
Une hybridation entre technologie et écologie
Parmi les activités à fort gradient de développement qui suscitent la passion des adolescents et captent l’intérêt des jeunes adultes, on relève les pratiques individuelles de « plein-air », utilisatrices d’instrumentations et d’appareillages sophistiqués (surfs, planches, embarcations et véhicules divers, parapentes, deltas, vélos-tout-terrain, matériels d’escalade, de plongée, de spéléologie) qui sont les plus représentatives des escapades hebdomadaires ou saisonnières des citadins. Elles se déclinent selon les multiples modalités d’investissement sportif et technologiquement armé des espaces « libres » de la « PleineNature». Il est possible de voir, dans ces tendances, les effets évidents d’une poussée de la sphère industrielle et marchande dans un nouveau champ lucratif d’activité. Individualisation des consommations et versatilité des conduites ne peuvent que satisfaire la sphère marchande toujours portée au renouvellement des désirs d’une clientèle individuelle, privée et solvable. La « technologisation», de plus en plus marquée, des pratiques s’ajuste fort bien, par ailleurs, avec l’accroissement des plus-values et les stratégies de diversification industrielle qu’offre l’ouverture de cet espace à l’utilisation des nouveaux appareillages, matériaux et technologies. Cette poussée de l’économique ne manquera donc pas d’accuser ces traits qui trouvent un retentissement dans les consciences.
Ainsi la connotation « moderniste » que revêt, auprès des jeunes, ces équivalents sportifs du «high-tech» est un facteur culturel puissant d’attraction. La recherche de plaisirs vertigineux puisés dans les activités véhiculées, de vitesse et de pilotage, les sensations enivrantes qu’offre l’expérience de la mobilité acrobatique au moindre coût, servent de ressorts motivationnels profonds à ces pratiques adolescentes. Elles s’accompagnent d’une volonté d’appropriation plus active et plus rapide (mutuelle ou auto-organisée), des techniques originales de la « culture-fun » (« sports californiens », « sports libres », « sports de glisse »).
De plus, la thématique insistante de l’aventure, avec ses dimensions d’autonomie décisionnelle, d’exploration d’inconnu, d’affrontement à des dangers, de conquête des grands espaces, structure de nombreuses activités de la jeunesse. C’est là le réservoir fantasmatique d’une Jeunesse des Temps de crise trop longtemps contenue dans une sorte de « moratoire social » ; moratoire associé à un allongement, sans précédent, de la durée de la jeunesse. Ceci produit, dans une société statistiquement vieillissante, des goûts « contre-culturels » et appelle ces sortes de rites d’initiation compulsifs comportant, en ses formes limites, appelées « sports extrêmes », souffrances et risques, convocation de son destin et défis à la mort, rejet de l’Institution et sanctions immanentes, éloge de l’autonomie dans l’épreuve, etc., qui assimilent parfois l’aventure à des « conduites ordaliques » (Valleur, Charles Nicolas, 1984). En tous cas, en des formes moins excessives et plus urbanisées se dessine, depuis plus de vingt ans, une culture sportive adolescente, en voie de forte autonomisation ; cette dernière servant parfois, en une curieuse inversion, de modèle pour tous les adultes qui, aujourd’hui, « ne veulent pas vieillir » 3.
Or il est attesté que c’est au cœur des grandes métropoles que se manifestent le plus vigoureusement et clairement cette « agoraphilie » sportive, cette tendance à «l’écologisation» des activités étrangement combinée à la « technologisation » marquée de loisirs sportifs. Ski, nautisme et aéronautisme, rafting et canoé-kayak, alpinisme et spéléologie… y trouvent, depuis longtemps, leurs plus fidèles adeptes4. La segmentation des temps de vacances et la demande plus explicite de loisirs de proximité (dits «au quotidien») achèvent de préciser une nouvelle donne à laquelle ni l’offre actuelle d’équipements urbains traditionnels ni les lobbies sportifs constitués ne peuvent évidemment répondre.
Une recherche de solutions
Que pourraient être des équipements urbains et périurbains d’avenir susceptibles de satisfaire une demande évolutive et potentielle, assez clairement identifiée, dans ce registre particulier des loisirs actifs? Moins soumis que d’autres acteurs aux contraintes techniques et aux habitudes des décideurs et des concepteurs, les chercheurs de l’université abordent, moins frileusement, la question complexe de la prospective et de l’innovation. Un sens aigu de la nuance et de la prudence devant cependant nécessairement accompagner cette construction de figures de l’avenir. Aussi convenait-il de tenter de cibler sociologiquement le public susceptible d’être concerné par ces innovations. Ainsi les villes-centres des grandes agglomérations, où se concentrent les populations bien intégrées, bi-actives, jeunes, salariées, de cadres fortement diplômés, constituent, pour l’essentiel, les bassins de recrutement de ces pratiques. Là se concentrent les adeptes les plus empressés et les plus fidèles des sports de pleine-nature ; activités appareillées à dominante aventureuse et technologique. Celles-ci définissent l’un des axes principaux de développement actuel des activités et préfigurent les pratiques de l’avenir. C’est dans ces zones de forte concentration urbaine qu’un « Site d’Aventures Sportives » (« SAS »), pourrait trouver ses implantations les plus avantageuses.
Le « Site d’Aventures Sportives », un nouvel équipement
Il s’agit, dans un nouveau concept d’équipement, d’intégrer les traits jugés les plus pertinents et les plus durables des évolutions enregistrées pour les adapter aux milieux urbains et permettre l’expression de ces loisirs sportifs des citadins dans des conditions optimales de coût, de sécurité et d’animation. Il s’agit donc d’adapter, à des cadres urbains, les activités individuelles de petits groupes, aux composantes technologiques accusées, habituellement pratiquées en pleine-nature. Intégrant des contraintes urbanistiques fortes, l’équipement inédit propose la pratique des diverses aventures sportives à proximité immédiate des résidences citadines, dans des cadres, milieux, ameublements et revêtements artificiels (spots), spécialement conçus, agencés et animés pour s’offrir, au mieux, à ces divers usages et à tous les niveaux d’apprentissage.
Cette démarche ne paraissait pas exorbitante dès lors que l’on pouvait voir, au cours du temps, un ensemble de manifestations concrètes comme autant de signes perceptibles, dispersés mais cohérents, de ces mêmes tendances. Les représentations de la Nature vécue comme « espaces de liberté» mais perçue aussi comme partenaire de jeux appareillés, conquérants ou transgressifs subissaient, chez les citadins, de profondes transformations dans un sens qualifié d’«hyper-naturel». Ces nouvelles représentations de la nature nous paraissaient devoir s’accommoder de l’artificialisation et de l’urbanisation des pratiques qui y ont trouvé leurs foyer initiaux de développement. Chaos de rochers, faux torrents et végétation tropicale qui font entrer les lointains dans nos piscines n’en sont que des ajustements décoratifs ou paysagers. La température tropicale sous bulle en représente la variante climatique. Les dispositifs coûteux de production de houles et de ressacs, les compétitions indoor de fun-board ou les simulateurs de planches à voile sous souffleries, tous les tobogganings qui reproduisent, en les infantilisant, les jubilations des sports de « glisse »… renseignent sur ces nouvelles «attentes» de pratiques, de décors, d’émotions, de spectacles des citadins. Ils peuvent être considérés comme autant de signes, exemplaires et répétés, de cette tendance forte à l’urbanisation des activités dites de «pleine nature».
La diffusion de l’escalade sur «structures artificielles», le développement du « roller-skate » et des « patins en ligne» transpositions urbaines les plus évidentes des sports de glisse et de plein-air comme d’ailleurs, (sur un tout autre registre pratico-imaginaire), une invasion urbaine de 4 x 4… ont conforté nos impressions de «bouclage», sur la ville de ces phénomènes «naturo-centrés».
Un « SAS » véritable entre ville et nature
Grâce à l’édification d’un tel équipement qui assume partiellement ces traits et saisit les citadins au gîte (adultes, adolescents et enfants des deux sexes), il devient possible d’économiser considérablement du temps sur des déplacements longs, onéreux et fastidieux qu’imposent ordinairement ces activités. Gains de temps mis à profit notamment pour l’affinement des apprentissages, pour transmettre les cultures spécifiques des sports retenus ainsi que la connaissance scientifique de leurs milieux «naturels» d’évolution (conditions essentielles de la sécurité).
La proximité permet de favoriser l’accès des citadins à une panoplie d’activités et à des «gestuels» techniques qui sont, pour beaucoup d’entre eux, psychologiquement ou économiquement inaccessibles. Il est ainsi possible d’assurer, à demeure et en toutes saisons, initiations et perfectionnements pour tous publics. L’animation du site n’exclut ni la progressivité des apprentissages, ni l’organisation régulière de compétitions stimulantes et attractives entre usagers (le «triathlon de la glisse»).
Cette animation s’opère sans hypothéquer, notons-le, la possibilité, offerte au gestionnaire de l’équipement, d’organiser périodiquement, en pleine-nature, les applications concrètes des apprentissages fondamentaux dans leurs cadres habituels. Ceci lui permettant de s’assurer une certaine prévalence sur l’organisation ultérieure des stages outdoor, sinon le monopole de leur encadrement. On peut ainsi espérer résoudre la question d’une animation «centre-ville» permanente, sur le mode de ces loisirs sportifs originaux, inspirant fortement les temps de vacances, sans frustrer adeptes et «puristes» des plaisirs attendus de leur bagage technique dans leurs applications «hors-limites».
Comme son sigle le suggère, le «SAS» veut donc être, dans sa définition fondamentale, une sorte de sas, réel et symbolique, servant d’espace de transition et de lieu de passage entre ville et nature et une forme d’hybridation, réellement assumée, entre sport et culture, technologie et écologie…
Création d’un catalogue de spots
Il fallait concevoir les grandes lignes « architecturales» d’un édifice produisant un dénivelé suffisant (correspondant à une hauteur de cinq-six étages) et comportant des superstructures, surfaces et profilage extérieurs adaptés à une grande diversité de jeux exploitant l’énergie potentielle. Mais l’équipement s’est trouvé progressivement structuré par la sélection des quatre principales modalités d’appropriation instrumentée de la pleine-nature ; à savoir: les activités de grimpers, de roulements, de glissements et de vols, complétées par les jeux de balancements et de chutes contrôlés. Ceci a contribué à esquisser une structure pyramidale, à quatre faces, spécialement adaptées aux exigences techniques et contraintes propres des pratiques tout en ménageant de multiples passages fonctionnels entre les faces (5).
Il était facile à des praticiens-experts et à des techniciens familiers de chacun des sports sélectionnés, de s’interroger sur la faisabilité technico-sportive de chacun d’eux, dans des milieux urbains à fortes contraintes et dans des cadres artificiels d’exercice. L’affinement spatial de chacun des spots intérieurs et extérieurs à l’édifice devait s’assurer de la variété des usages sportifs que l’on peut faire de chacun d’eux et préciser leur aménagement pédagogique lié aux différents âges et niveaux techniques de leurs utilisateurs. D’autres chercheurs, soucieux de la qualité des produits, étaient chargés de s’assurer de l’existence, en Europe, des matériaux, revêtements, équipements, ameublements, etc., nécessaires à leur réalisation. Cette expertise se posait la question récurrente de la capacité de ces produits à se plier à certaines contraintes techniques liées à leur adaptation à des modalités de pratique précises que les jeunes français apprécient particulièrement (6). D’autres collaborateurs, enfin, furent commis pour estimer la dangerosité des espaces, c’est-à-dire pour juger des risques encourus par les exercices les plus audacieux qui pourraient s’y dérouler. Cette opération nous a conduit parfois à transformer certains appareils ou à en utiliser d’autres (kayaks/«babouches ») pour l’initiation au « kayakextrême», sur revêtement synthétique, par exemple.
En puisant dans le catalogue, sans cesse enrichi, d’espaces artificiels reconstitués, librement transposés des sites naturels ou totalement inventés, mais sélectionnés parmi les plus éducatifs, variés et stimulants, il était concevable d’agencer différents ensembles, d’offrir, en quelque sorte, des montages « en kit », assurant la flexibilité optimale du concept ; assemblages qui ne préjugent pas de l’ingéniosité de leurs agencements architecturaux (7). Afin de présenter le concept, à l’aide d’un support attrayant de communication, le SAS a fait l’objet d’une première série d’illustrations n’ayant pas de réalité programmatique ni architecturale, mais donnant une idée frappante et attractive du concept dans son plein développement8. C’est ainsi que le projet innovant fut présenté à certains décideurs des collectivités publiques, en région parisienne, en précisant chaque fois :
– qu’il ne s’agissait nullement d’un nouveau «Parc à thème» auquel le SAS, en dépit de nos précautions de langage et de nos dénégations, était immédiatement assimilé;
– qu’il ne s’agissait pas plus d’un « produit-clés-enmain», mais d’un «concept» à soumettre à une rigoureuse méthodologie d’adaptation (sociale, sportive, urbaine, économique…) à son site urbain d’implantation, exigeant études de faisabilité, d’ajustement «fonctionnel» et d’adaptation «socio-sportive», scénarios de fonctionnement et de gestion. Les questions des interlocuteurs relatives au coût d’un tel «équipement» ou à l’espace nécessaire pour l’aménager, étaient donc, à cet instant, sans fondement;
– qu’un tel processus d’adaptation (demandant du temps et des moyens) ne manquerait pas de conférer au produit final, bien adapté à la ville, une toute autre forme que celle représentée par les illustrations. Un calibrage rigoureux de sa structure (sélection de spots, limitation du volume, réduction de l’emprise au sol, abandon possible du segment «vols»…) en changerait nécessairement la physionomie.
Mais face à l’idée, techniquement réalisable, d’un « micro-site » élémentaire, constitué d’un seul spot, formulé par certains interlocuteurs, les concepteurs du SAS insistaient toutefois sur la nécessité de conserver, au produit, un « minimum incompressible » d’activités (glissements, roulements, grimpers…); panoplie jugée indispensable pour assurer une grande variété d’activités, techniquement différentes (renforcée par leurs associations et formes combinées) ; pluri-pratique susceptible de rompre la monotonie prévisible d’une seule utilisation d’un même espace, de répondre aux attentes diversifiées des jeunes autant qu’à la versatilité des goûts du public. Ceci dans le but de fidéliser les « usagers » et les « clients ». Au fond persistait, dans l’esprit des concepteurs, l’idée de construire un édifice pluri-fonctionnel.
Avatars et mésaventures du projet
Le concept a d’abord été présenté, à leur demande, aux décideurs de la Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui s’étaient dit « lassés » des propositions insistantes des « vendeurs d’aqualands » et s’étaient déclarés, en revanche, intéressés par ce nouveau concept conforme, à leurs yeux, à l’image de leur « ville moderniste » et cohérente avec le côté high-tech du projet proposé. Un crédit de 300000 francs était proposé aux chercheurs pour engager des études de faisabilité technique et de gestion du SAS en vue d’une implantation adéquate dans le périmètre de la Ville Nouvelle. A la suite d’un changement à la Présidence du Syndicat Intercommunal (SAN) le projet de financement a été abandonné par ce dernier. De son côté, l’Établissement Public d’Aménagement (EPA) ne pouvant pas suivre seul le projet cherchait, en vain, au Conseil Général des Yvelines, un complément de financement. Les démarches visant à déplacer le Site-pilote vers la zone dite de «la Revanche » ou vers la Base de loisirs de Saint-Quentin, ont entraîné d’importantes pertes de temps et se sont soldées par autant d’échecs prévisibles. Les décideurs pourtant visiblement stimulés par le projet, et se disant intéressés, ne pouvaient ou ne voulaient contribuer au financement des études préalables (Communes, Syndicat-mixte de la Base, Conseil Général…). De longues discussions, en soi instructives et édifiantes, ne pouvaient que se déployer en vain, en dépit de l’affinement progressif d’un argumentaire des concepteurs confrontés à des demandes variées (réhabilitation d’une friche, mise à profit d’un relief existant, souci de relance des activités d’une Base, produit d’appel d’un projet immobilier, pôle structurant d’un quartier, etc.).
Un financement important fut toutefois obtenu de la part du Ministère de la Jeunesse et des Sports, de 1988 à 1991, en même temps qu’un soutien résolu et compétent de la part de sa « Mission Technique de l’Équipement ». Cette subvention permettait aux chercheurs de l’Université de poursuivre leur travail de conception et d’affiner parallèlement la méthodologie d’adaptation technique et de faisabilité technologique d’un produit totalement inédit. Furent assurées, par exemple, des missions d’études, très satisfaisantes, en Belgique et en Allemagne, pour les essais et l’expertise des produits artificiels pour les pistes de glissements. Un revêtement allemand, étudié, en fonctionnement réel, sur un équipement depuis longtemps rentabilisé, offrait des capacités techniques réelles d’adaptation aux modalités acrobatiques d’utilisation souhaitées (« hot-dog », « free-style », ski de bosses, minisauts, snowboard, half-pipe…). Fut ainsi identifié l’un des rares produits européens estimé capable de se plier à des profils ondulés ou bosselés du support.
Mais, en se poursuivant, la prospection de différents sites possibles d’implantation en Région parisienne nous amenait, régulièrement, à une réflexion collective sur la capacité de flexibilité du concept en l’ouvrant à des fonctions urbaines ou à des demandes politiques toujours différentes, parfois inattendues… La Ville d’Achères, disposant d’une importante réserve foncière, en bord de Seine et de ressources financières voulait, par exemple, tenter grâce à lui de « tamponner » son image désastreuse de « zone d’épandage». La Base de loisirs de Saint-Quentin s’était finalement repliée sur des problèmes de paysage, après avoir discrètement visé la valorisation d’une promotion immobilière prévue à sa périphérie. L’équipement de la colline de la Revanche, qui nous confrontait à des problèmes d’exploitation d’un relief existant, ne correspondait pas à la philosophie du projet qui exige des activités, donc des espaces intérieurs, pour assurer notamment un plein-emploi hivernal.
La collaboration de notre Centre de recherches avec le Département «Prospective et équipements nouveaux» de l’Établissement Public d’Aménagement de la Défense (EPAD) nous confrontait enfin à des problèmes complexes d’aménagement urbain ambitieux, aux enjeux colossaux (expansion, sur l’Ouest, de l’agglomération parisienne, Mission « Grand Axe », enjambement de la Seine…). Une demande contractuelle « d’études de définition des besoins fondamentaux et prospectifs de son Périmètre d’intervention fut d’abord satisfaite9 lorsqu’un changement politique à la Présidence de l’EPAD mit définitivement fin à nos espoirs concernant une implantation possible du Site qui nous paraissait idéale : au cœur du bassin d’emploi de l’Ouest parisien, sur l’Axe monumental de Paris, en bords de Seine, et… à proximité de l’UFR STAPS de l’Université de Paris-X-Nanterre qui aurait pu l’utiliser comme «École d’application».
L’enrichissement de la « pluri-fonctionnalité » du Site-pilote
Mais le souci d’adaptation urbaine et d’ajustement économique du projet, qu’inspirait fortement ce dernier contexte, concouraient à redéfinir le SAS non seulement comme un produit moderniste, assurant un important signal urbanistique (et une certaine communication urbaine), mais comme un « site » susceptible d’intégrer d’autres fonctions sociales pouvant être avantageusement associées à ces mêmes activités.
Ceci attira notre attention sur la nécessité d’articuler plus étroitement le projet avec les fonctions sociales et économiques de son environnement urbain d’implantation. L’idée de sa pluri-fonctionnalité permise par la possibilité d’utiliser un volume intérieur, assez vaste, nous orientait vers l’intégration d’activités artisanales, économiques, commerciales… pouvant positivement entrer en synergie avec lui. Ne pouvait-on pas y intégrer des artisanats spécialisés, des ateliers pour la construction-amateur, un banc d’essais, en vrai grandeur, des appareillages et instruments sportifs pour une distribution commerciale « intelligente », une vitrine « nationale » d’exposition des produits les plus innovants du secteur, etc. Autant de fonctions qui achèvent de constituer le SAS en pôle régional d’activités économiques spécialisées.
Le plus important distributeur national d’équipements et d’accastillage de vol libre (« Vol-Libre-Diffusion ») s’est déclaré, par écrit, intéressé, par cette formule et prêt à installer une unité de production et un magasin de distribution, dans l’hypothèse d’une implantation en région parisienne. Des services de restauration et des boutiques associées pouvaient compléter cette dimension sur un registre plus ordinaire. Un travail « d’ajustement fonctionnel » du SAS devait donc commencer par une exploration systématique de l’environnement local, régional ou même national de son lieu d’implantation, pour y rassembler des PME-PMI voyant avantage à se regrouper, en masse critique suffisante, au sein de cette «mini-technopole» du loisir sportif et solliciter l’agrégation de services adjuvants intéressés par l’exploitation d’un «produit d’appel » original (hôtellerie, para-hôtellerie, restauration, centre commercial…).
L’organisation périodique de compétitions d’activités acrobatiques et véhiculées originales, rarement données à voir en milieu urbain, doit conférer à l’équipement une forte attractivité spectaculaire. L’accroissement du pouvoir expressif des gestuels des nouveaux pratiquants répondant, en miroir, à cette présence indispensable et exploitable des visiteurs et des badauds. Une interactivité fut donc systématiquement recherchée entre espaces de pratiques (ceux notamment destinés à la pratique d’excellence), et lieux jugés essentiels de leurs « mises en scène ». En exploitant cette fonction d’attraction spectaculaire on peut produire aussi une forte incitation des « visiteurs » du Site et des enfants qui les accompagnent à engager les premiers degrés « d’initiation » grâce à des espaces pédagogiques, libres d’accès et dépourvus de danger.
Enfin, fondé sur l’hypothèse de l’apparition de nouveaux produits résultant de l’hybridation entre Sport et Culture, sports et arts, 10 et celui d’un accroissement du niveau d’exigence de ses usagers potentiels, le « Site d’Aventures» vise très explicitement le «désenclavement culturel» des activités sportives proposées. Ceci doit permettre aux usagers de se réapproprier leurs dimensions artisanales (fabrication, réparations, modèles réduits…) ; pratiques justifiées notamment par un développement important du bricolage dans les loisirs des Français des deux sexes, que corrobore une tendance marquée à l’autoproduction. L’articulation des activités s’opère évidemment avec leurs fortes composantes technologiques (connaissance des principes de construction, de fonctionnement et de perfectionnement des appareillages), voire même scientifiques (connaissance des milieux naturels d’évolution, aérologie, météorologie, milieux souterrains, montagnards, littoraux, torrentiels…), connaissance, aussi, de la préparation de l’organisme à un « exploit », à sa mesure (physiologie de l’effort, psychologie des conditions extrêmes, hygiène et diététique appliquées…). De plus, des dispositions spatiales d’animation et d’organisation appropriées permettent de ré-articuler ces jeux «sportifs» avec leurs dimensions esthétiques, artistiques, musicales, chorégraphiques, (« danse-escalade », « rock-and-rollers »…), de les associer éventuellement avec des dimensions iconographiques, vidéographiques, muséographiques… On s’attachera ainsi à « ré-articuler » les activités du Site avec leurs dimensions culturelles qui les remettent en communication avec les pratiques de la «culture légitime ».
Mais le Site peut être aussi un lieu de recherches universitaires notamment en matière d’animation des petits groupes, de gestion optimale des différents « spots » et « d’expérimentation » des variables de gestion de l’ensemble. Recherches aussi concernant les questions relatives à l’attraction des touristes et à la fidélisation des usagers. Comme cela a été suggéré, il peut constituer ainsi une école d’application d’une UFR STAPS et être associé à un Lycée technique (fabrication et essais d’engins inédits)… En bref le prototype peut être conçu comme un espace d’innovations technologiques, d’applications pédagogiques et un lieu de formations centré sur la prospective de l’animation des loisirs sportifs.
L’impulsion du projet angevin et la création de la société « Ressac »
L’aménagement d’une friche ferroviaire, bien située en bordure de la Maine, devait créer un nouveau quartier vivant, proche de l’hyper-centre. Dans l’esprit du maire et des aménageurs locaux, il s’agissait de combiner l’implantation d’entreprises du secteur «tertiaire intelligent », une unité hôtelière de prestige, des services complémentaires et quelques logements; le tout étroitement associé à un pôle sport-loisir, en conformité avec l’image d’Angers «Ville du Bien-Etre»; pôle capable de maintenir une animation du quartier après la fermeture des bureaux.
Mais soutenu publiquement, le projet donnait aussi l’occasion à ce maire, réputé dynamique et bon gestionnaire, de conforter sa propre image médiatique. Un vote quasi unanime du conseil municipal à deux exceptions près (une voix d’opposition communiste et une voix d’opposition écologiste) a fixé le choix du pôle-loisir sur le projet de SAS tel qu’il fut présenté devant le conseil plénier (en présence de tous les Services techniques de la ville).
Il fut déclaré «élément structurant» de l’ensemble de la ZAC du Quartier Saint-Serge. Cette déclaration de principe s’est trouvée, de suite, confirmée par l’acceptation de la réorganisation complète des esquisses initiales d’aménagement, en raison des importantes contraintes technicosportives du spot-vol libre (liées au régime des vents dominants) dont le principe fut retenu. Si celui-ci était adopté il imposait, en effet, une réorientation générale de tous les édifices prévus par rapport à un «front de fleuve» très attractif. Le projet lauréat du concours d’aménagement imposait, en retour, au SAS d’autres types de contraintes (création d’un Mail qu’il devait «enjamber»); problèmes qui furent élégamment résolus. En l’absence totale de financement de la part de la municipalité qui nous chargeait de trouver subventions d’études et investisseurs les frais devaient être essentiellement assumés par une Société spécialement constituée pour la circonstance, par nos soins.
La Société «Recherches et Études sur les Sites Sportifs d’Aventures Citadines » (« RESSAC ») s’est constituée autour de l’Atelier Jacques Lévy (dépêchant deux architectes), un urbaniste-sociologue (de la SCET des Pays de Loire), le concepteur, un expert en matériaux et un chercheur chargé d’appliquer la méthodologie d’adaptation (tous trois chercheurs au CRCS). Cette petite SARL a réalisé un travail considérable concernant les études d’ajustement fonctionnel du SAS à l’environnement économique de la ville, de production de la qualité technologique (matériaux, revêtements, appareillages…), de calibrage strict à son bassin de recrutement socio-sportif, d’adaptation urbanistique au plan d’aménagement, d’agencement architectural, de calcul des coûts de construction, de programme de fonctionnement, etc. Elle s’est assurée de l’accord de la chaîne hôtelière Holiday-Inn qui, intéressée par une implantation angevine, centrale, et par la création d’une synergie avec le projet de SAS, acceptait le principe coûteux d’accroître, en sa faveur, la surface de ses façades; offrant ainsi des supports nécessaires à certaines de ses superstructures. Sans doute voulait-elle profiter de ce magnifique «produit d’appel» et s’assurer, à moindre frais, l’assimilation de l’ingénierie considérable que le Site adjacent était parvenu à concentrer.
Après les définitions axionométriques et la mise en plans, la collaboration avec le Département commercial de l’Entreprise «SPIE-Centre-Ouest» a permis une estimation des coûts de construction et d’investissement. Un scénario précis et rigoureux de fonctionnement, fondé sur l’appréciation de l’utilisation journalière, hebdomadaire, mensuelle et annuelle des différents spots, rapportée à leurs fluctuations saisonnières (et vacancières), permettait d’espérer atteindre un «petit équilibre de gestion» au bout de la deuxième année de fonctionnement11. Ayant perçu que le « confinement » constitutif des salles de mise en forme devait produire, chez leurs plus fidèles adeptes, un certain besoin d’outdoor, les responsables de la chaîne «GymnaseClub» furent pressentis. Ils se sont dits intéressés par la responsabilité de la société d’exploitation du SAS.
Dix rapports d’études ainsi que les plans du Site ont été livrés à la mairie, dans les délais prescrits, au prix d’un effort considérable et bénévole de la part des sociétaires et de leurs collaborateurs. Le projet ne s’est finalement pas réalisé. A la grande déception des concepteurs-chercheurs de l’Université, passionnés par la perspective de la réalisation de leur innovation, au centre d’une ville, réputée sportive, et au grand désappointement de l’Atelier d’Architecture et des acteurs-bâtisseurs de SPIE.
Les interprétations de l’interruption du projet angevin
Les investisseurs anglais (américains et japonais ?) potentiels, partenaires de la chaîne Holiday-Inn, avaient été sollicités par des intermédiaires (de la Société SPIE). Ils s’étaient déclarés intéressés par le financement du projet mais ont longtemps différé leur décision puis y ont finalement renoncé. Des acteurs économiques ayant des enjeux «d’apports d’affaires» n’ont pas permis l’établissement de contacts directs avec ces investisseurs qui auraient permis de tirer, a posteriori, des enseignements de leur défection. Ces derniers devaient être sensibles aux « économies d’échelle » que devait assurer la diffusion, en plusieurs exemplaires, d’un produit «hôtel-loisirs», en d’autres villes ou contextes nationaux. Les initiateurs ne pouvaient évidemment leur garantir une telle possibilité tant il leur apparaissait que plusieurs prototypes (type «compact centreville », type « complet péri-urbain » ou « site minimal ») devaient être, au préalable, édifiés et expérimentés en des lieux favorables pour en mesurer les effets.
Beaucoup plus tendus – collectivement – vers la réussite du prototype angevin (directement rapportée à ses équilibres de gestion), les concepteurs-chercheurs (issus du secteur public et universitaire) ne visaient pas l’édification, à toutes forces, d’une construction (que l’architecte et le bâtisseur pouvaient légitimement espérer). Les chercheurs inopinément introduits dans ce processus de conception d’équipements souhaitaient encore moins la diffusion, à l’identique, d’un «équipement-standard» dont on pouvait douter, à priori, d’une bonne rentabilité financière.
En outre, dans la philosophie fondatrice de leur projet, les concepteurs restaient attachés au fait de pouvoir satisfaire, notamment, des besoins publics non nécessairement solvables et d’éducation physique et sportive (enfants des écoles, élèves des lycées, étudiants de l’université). Ils s’accommodaient d’autant moins de cette démarche de totale commercialisation du projet que les études démontraient la nécessité d’ouvrir, en plein emploi, le SAS à ces publics scolaires grâce à des subventions publiques (de la Région, du Département et de la Ville). Il était possible de faire quelques économies sur le financement des « classes vertes », « de neige » ou « de mer » que le SAS pouvait éventuellement remplacer pour certains publics d’enfants (on songe notamment aux enfants et adolescents des « banlieues sensibles »).
Par ailleurs, les investisseurs ont, semble-t-il, pris la mesure de la crise affectant, en France à cet instant, les équipements de «Loisirs» auxquels le SAS était abusivement assimilé.
Porté par un maire, à forte personnalité, le projet a bénéficié de l’adhésion spontanée et immédiate d’un conseil municipal. Or cela ne vaut pas adhésion de toutes les forces sociales «vives» d’une commune et de sa région avec lesquelles un tel projet doit compter. Le SAS inquiétait le mouvement sportif local. D’autres acteurs locaux restaient réticents (notamment les services privés existants, les porte-parole d’un corps médical, puissant sur la ville). Il n’était pas porté par toute une collectivité, dont certains leaders d’opinion estimaient le projet «démesuré». (Baslé, 1994). Pendant toute la durée des études, des contacts fréquents avec le maire ont permis de le tenir informé de leur avancement. Ceci lui permettait de procéder, régulièrement, à des effets d’annonce dans les médias qui mettait en exergue sa ferme volonté de «modernisation» de sa ville, sur le secteur éminemment stratégique d’un ultime développement urbain, en centre-ville, et dans un registre « sportif » qui assure l’adhésion populaire. Il confortait ainsi l’image d’un maire, «tourné vers le futur», mais qui, en bon gestionnaire, se garde de prendre le moindre risque pour sa commune (ceci au point de refuser de s’engager sur le principe de l’attribution de subventions municipales permettant d’assurer la fréquentation du SAS par les scolaires). Visiblement le fait de «faire travailler gratuitement le Privé», à son service, le ravit. Il en tire profit, en termes symboliques, tout en montrant, en toutes occasions, qu’il « ne s’en laisse pas compter » et n’engage, en aucune façon, financièrement la commune (du fait déclaré de «la privatisation du projet»)… En cas de réussite de ce projet il pouvait se présenter comme son véritable initiateur et récupérer tous les profits symboliques d’une réalisation solennellement inaugurée… En cas d’échec, il s’empresse de se démarquer des inventeurs «Concours-Lépine» et des «promoteurs privés» imprudemment engagés dans un projet irréaliste…) (12).
A un autre niveau, national celui-ci, on pouvait trouver quelques raisons à l’échec. A l’exception notable du Secrétariat d’État à la Jeunesse et aux Sports, nulle instance nationale n’a répondu clairement à nos sollicitations. Celles auxquelles sont assignées les fonctions de soutien à l’innovation sont restées silencieuses. Quelques unes s’étant bornées à nous recommander d’essayer d’atteindre l’objectif « du petit équilibre de gestion ». Laisser faire, attendre et voir, semble un principe, assez partagé, dans ce secteur difficile de l’innovation. Aucune administration n’a perçu les possibles enjeux d’exportation d’une ingénierie et d’un produit français, attaché à la qualité, résultant de la réalisation et de l’expérimentation, en vraie grandeur, d’un prototype implanté dans un lieu favorable. On pouvait espérer, au moins, voir tester, en France, sa pertinence, dans une mise en relation du niveau national et du niveau local de décisions.
Les enseignements de l’expérience : le lieu adéquat
Equipement inédit en Europe, aux États-Unis et au Japon, le SAS est une utopie capable de structurer une demande potentielle, telle qu’elle se dessine nettement (et notamment) en France. Le concept de SAS, éminemment flexible et adaptable, s’efforce de combler le manque d’imagination des décideurs de la maîtrise d’ouvrage sur le registre des produits de loisirs sportifs urbains et de stimuler la maîtrise d’œuvre longtemps bénéficiaire de la standardisation des équipements sportifs normalisés. Il résulte de la volonté d’un groupe de concepteurs de l’Université, portés par cette double conviction :
1. Qu’il convient, aujourd’hui, de s’interroger collectivement sur la conception d’équipements de loisirs sportifs urbains, de proximité, afin d’obvier à la tendance à la délocalisation des activités des citadins et de répondre à des demandes sociales en décalage par rapport aux équipements sportifs de première génération (stades, piscines, gymnases…).
2. De la nécessité d’appuyer ce travail de conception sur une analyse sociologique approfondie de l’évolution des goûts sportifs des citadins, placés dans un contexte économique difficile, et mobilisés par de nouveaux attraits; travail mené par les sociologues spécialisés en collaboration étroite avec les professionnels de la maîtrise d’œuvre. Ceci dans un effort pour tenter de combler, en France, le fossé culturel inquiétant qui s’est creusé entre les différents types d’acteurs (architectes, chercheurs universitaires, décideurs…) appelés, pourtant, à collaborer ensemble.
Les Français sont réputés très inventifs en matière de création de nouveaux sports, appareillages et instrumentations de loisirs sportifs. On dit volontiers qu’ils font preuve, en ce domaine, «d’un dynamisme japonais». Les nombreux dépôts de leurs innovations à la Propriété industrielle en témoignent (D. Hillairet, 1993). Or le SAS est une occasion de cristalliser cette intense créativité tout en concentrant, dans sa conception et sa faisabilité technique, une ingéniérie considérable qui n’a pas trouvé, à ce jour, à se concrétiser.
Aussi comme pour toutes les innovations techniques, qui comportent diverses dimensions innovantes, il convient, en France, « de passer en force », grâce à un vigoureux soutien national, en s’assurant d’un lieu très favorable à l’expérimentation et à la réussite d’un prototype. Or parmi les conditions essentielles de cette réussite, il y a la production d’une synergie de forces locales en faveur d’un projet, certes inédit, mais susceptible de procurer une forte visibilité dans la concurrence entre les villes. L’antériorité valant ici « exemplarité »… Christian Pociello
Christian Pociello, auteur de nombreux ouvrages sur les pratiques sportives contemporaines, est professeur de sciences du sport à l’Université de Paris XI-Orsay, appelée également Paris-Sud.
PLAN
UNE UTOPIE MOBILISATRICE
L’évolution des loisirs sportifs dans la société française
Une hybridation entre technologie et écologie
Une recherche de solutions
Le « Site d’Aventures Sportives », un nouvel équipement
Un « SAS » véritable entre ville et nature
Création d’un catalogue de spots
Avatars et mésaventures du projet
L’enrichissement de la « pluri-fonctionnalité » du Site-pilote
L’impulsion du projet angevin et la création de la société « Ressac »
Les interprétations de l’interruption du projet angevin
Les enseignements de l’expérience : le lieu adéquat
1. Pociello C., Sports et société, approche socio-culturelle des pratiques, Paris, Vigot, 1981.
2. Voir, infra, les nouveaux attraits qu’inspirent, à la génération adulte, les types d’activités promus par la jeune génération.
3. Pociello C., Les cultures sportives, Pratiques, représentations et mythes sportifs, Paris, PUF, 1995
4. Mathieu D., Praicheux J., Sports en France, Paris, Fayard-Reclus, 1987
5. Il convenait selon nous d’exclure, d’emblée, les sports motorisés du fait des importantes pollutions qu’ils entraînent autant qu’en raison de la sensibilité écologique des publics de jeunes citadins « ciblés » par le produit.
6. Hillairet D., Rapport sur les revêtements artificiels et les équipements pour parcours multipistes de glisse, (Ski, surf, monoski et autres techniques), T. III, MJS-CRCS, oct. 1990, et Donzé B., Évaluation des techniques et identification des constructeurs de structures artificielles d’escalade (Tableaux comparatifs des produits du marché français), SEJS-CRCS, déc. 1989.
7. Pociello C., Etude de faisabilité du SAS ; Construction du catalogue, sélection des espaces et premiers agencements architecturaux, SEJS-CRCS, déc. 1989.
8. Voir la plaquette de présentation du « Site d’Aventures Sportive », Illustrations et textes de C. Pociello, CRCS, 1992. Une illustration du site-pilote avait été publiée sous la légende « Le stade du troisième millénaire » dans La Vitesse, Flammarion-Fondation Cartier, non datée (1990), p. 45.
9. Rapports d’études sur la prospective des équipements de sports et de loisirs pour l’aménagement du Périmètre d’Intervention de l’EPAD, tomes de 1 à 5, EPAD-CRCS-ISC, 1991-92.
10. Processus d’hybridation dont les productions chorégraphiques, funambulesques, acrobatiques, gymniques… de Decouflé, notamment, signalent les effets dans le registre théâtral.
11. Baslé G., Méthodologie d’adaptation du Site d’Aventures Sportives, MJSCRCS, t. II, 1990, et Baslé G., Contribution à l’analyse prospective des politiques sportives locales ; nouveaux enjeux, nouvelles approches, Thèse de doctorat en sciences (STAPS), Université de Paris-Sud, Janv. 1994, tome I : Définition et rôle de l’innovation, inédite.
12. Ainsi le maire s’était-il montré attaché, dès le début du projet, à la présence du « spot-vol libre » ; le plus « visible », en terme de communication, mais aussi le plus difficile à intégrer techniquement dans le Site. Changeant d’attitude sur la fin des études, lorsque se manifestait la réticence des investisseurs, il demandait, perfidement à l’adresse des concepteurs, avec une nuance moqueuse : « où sont passés les « skuds » ? »